Un vendredi comme tous les autres, aussi joyeux, aussi drôle, aussi frais, mais tout ça, ce n'était qu'en pleine journée, lorsque le soleil montrait encore son visage flamboyant, lorsque les rayons sans chaleur éblouissaient MystHill de leur bienveillante lumière, mais à la nuit tombée, une fois que Joshua avait retrouvé son chez-lui, les choses étaient différentes. Oui, monsieur Brewer est d'un naturel optimiste, toujours prêt à offrir un sourire sincère, et l'on pourrait croire que sa vie a été rose du début à aujourd'hui, alors que comme la plupart des gens, il a vécu des joies mais aussi des peines, et c'est à ces dernières qu'en rentrant ce soir, il pensa. Ruminer le passé, c'était si rare pour lui, mais à présent qu'il était seul dans cette grande maison qu'il avait partagé avec une femme qu'il aimait, il se sentait bien trop seul. Sa jeune locataire, jolie blondinette à l'esprit de feu n'était pas là ce soir, alors pas de causette devant la télé, ou pas de scrabble en folie, ni de repas mouvementé, il redevenait le vrai homme célibataire de quarante ans, qui se retrouve seul et toujours seul.
Non, il décida de remédier à cela en se rendant au restaurant qu'il adore. Ce restaurant qui avait été racheté il y a peu de temps pas un petit jeune qui se débrouillait extrêmement bien pour son âge. Comme toujours vêtu d'un sobre costume, il sortit sans réservation, une table pour une personne ne devait pas être trop difficile à dénicher, et il devina bien. On le servit gracieusement, et lorsque vint le repas, Joshua décida de prendre du vin. Lui qui ne boit jamais, la dernière fois devait être il y a vingt ans, lorsqu'il était avec son premier amour, et depuis rien, plus une goutte d'alcool, il n'aimait pas ça et ne supportait pas, mais là, c'était exceptionnel, il dînait en solitaire et avait besoin de se remonter le moral ne serait ce qu'un court instant. Et alors que le vin proposé lui plaisait particulièrement, il demanda la bouteille, et ce furent seulement deux verre qui le mirent dans un état pas possible. Sur le coup, il n'avait rien remarqué, mais lorsqu'il se leva pour quitter le restaurant après avoir payé, il vit tout tourner autour de lui. Cette sensation, il ne l'avait jamais ressentie, c'était à la fois hilarant et pathétique. En tout cas, lui avait vraiment envie de rire, et c'est ce qu'il fit en prenant la porte des toilettes pour hommes au lieu de se diriger vers la sortie. Deux verres et il ne se tenait plus debout, cet homme était vraiment une catastrophe sur pattes, mais qui n'était plus vraiment sur ses pattes mais bel et bien avachi sur le sol des sanitaires.

C'était la fin de soirée, et le restaurant devait fermer ses portes, Joshua ne se rendait compte de rien et continuait de somnoler par terre quand une voix vint l'éveiller. Non de non, c'était Ewan Rasmussen ! Il n'avait pas besoin de le voir comme ça, surtout que ce n'était pas le style de Joshua.
Dans un râle bruyant, il se redressa pour être plus présentable et passa une main ouverte sur son visage, il était dans un sale état.

« Excusez moi jeune homme, je suis un peu … saoul ! » et il se mit à rire.

Ce qu'il disait n'était pas faux, mais ce n'était pas entièrement vrai pour autant. Il avait peut-être quelques problèmes de contrôle physique, mais mentalement il était sobre. Il savait ce qu'il disait, la seule chose était que l'alcool l'avait rendu euphorique. Il se releva finalement un peu difficilement.

« Je dois y aller, je suis attendu … par mon lit ! »

Il s'en serait écroulé, mais à la place, il tanguait doucement, l'air guilleret.

Être saoul pour Joshua était comme une nouveauté pour Joshua, cela faisait si longtemps qu'il ne l'avait pas été, et tituber au point de vouloir se poser au sol d'un toilette aurait été dérisoire s'il n'aurait pas été dans un tel état. Heureusement, les sanitaires, tout comme le reste de la salle du restaurant, étaient bien entretenus, les par-terres brillaient malgré la maigre lumière qui résidait dans les pièces, et surtout, aucunes mauvaises odeurs ne venaient titiller leurs narines. Déjà le jeune homme prit la lourde charge de s'occuper de lui en lui tapotant les joues dans l'espoir de le faire revenir à lui. Joshua n'était pas endormi, il avait juste du mal à garder les yeux ouverts. Il n'avait plus fière allure dans son beau costumes tout chiffonné et sa cravate bringuebalante.
Pour sa part, mister Brewer était arrivé jusqu'ici en vélo, mais le risque était toujours là, tout du moins, plus pour lui que pour autrui. Il est tellement maladroit qu'il réussirait à tomber dans l'un de ces buissons piquants. La voix du restaurateur semblait un peu lointaine comme s'il s'agissait d'une petite voix dans sa tête, et Joshua ne répondit que par un sourire injustifié mais plein de dents. Ça ne pouvait pas être possible, quelque chose avait forcément du être mit dans son verre pour qu'il soit autant dans les nuages. Deux verres de vin, et il était déjà à dix kilomètres de la réalité.

Le jeune Rasmussen l'inonda d'une pluie de questions, toujours dans le même sens, et Joshua était tel un ordinateur en plein bug de logiciel, face à lui, ne sachant quoi répondre. Les mots lui parvenaient sans significations, et devaient faire tout un long chemin pour arriver jusqu'au traducteur de son cerveau. Il se tenait à lui pour garder en bon équilibre, son long corps trop mince, et ne réalisa de la dernière question qu'une fois assis dans la grande salle.

« Heu... J'habite dans une maison, à Playskool ! »

Ewan était déjà parti pour chercher sa veste, et pourtant, Joshua continuait à discuter tout seul.

« Je vis avec une jeune fille... c'est pas ma copine mais je crois que je lui plais... » Il s'arrêta un instant pour rire tout seul. « Elle est gentille, et puis moi je la voit un peu comme une petite sœur à protéger, elle est tellement adorable envers moi... »

Joshua déballait sa petite vie, et ce n'était pas quelque chose qu'il faisait habituellement, tout du moins, pas de la sorte. Il était là, tête posée sur sa main, regardant le vide, son interlocuteur du moment. Lorsque le restaurateur  revint, il se leva d'un bon sur un « allons-y ! » joyeux, et se précipita dehors comme un enfant à qui l'on a promis une glace, et alors que monsieur Rasmussen s'occupait de fermer les lieux, Josh sifflait gaiemant "raindrops keep fallin on my head" comme si de rien était.
L'air frais du soir était vivifiant, provoquant un léger frisson parcourant tout son corps. Il montra les quelques voitures garées dans la rue, se tenant au mur.

« C'est laquelle la votre ? »